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30 janvier 2015 5 30 /01 /janvier /2015 14:52

Littérature

Michel Houellebecq

"Soumission"

Flammarion, 2015

 

             L'histoire de François, ce jeune agrégé un peu marginal qui se voit attribuer une chaire à la Sorbonne pour y enseigner la littérature ne constitue pas l'intérêt principal de ce roman de Michel Houellebecq. Que son personnage, en revanche, ait choisi l'oeuvre de Huysmans comme sujet de thèse est à la fois piquant et intéressant. Cet auteur de la fin du 19ième siècle, faut-il savoir, s'est converti au catholicisme à l'âge de 37 ans, après avoir mené une vie dissipée. François de son côté, étant donné l'évènement qui va survenir dans son pays, devra lui-même opérer une conversion. Une conversion dans sa façon d'appréhender le monde. La conversion du regard est au coeur de ce livre.Mais c'est à son aspect de prémonition ou d'anticipation que ce roman, aujourd'hui, connaît le retentissement qu'il rencontre.

           Aux élections présidentielles de 2020, un fait politique prévisible mais sans précédent se produit en France.  Afin de s'opposer à l'arrivée au pouvoir des ultras du Front National, une coalition d'un genre nouveau se forme. Font alliance : Les Socialistes, le parti du Centre et le parti de la "Fraternité Musulmane". Les coalisés emportent la victoire et Mohamed Ben Abbes est élu Président de la République. François Bayrou n'est pas son prophète mais son Premier ministre. Alors que l'on avait craint la guerre civile un grand calme se produit. Renonçant à ses idéologies querelleuses, le peuple français semble s'être résigné avec bonhomie à une façon nouvelle de voir le monde. A consentir au réel tel qu'il est. Aux faits tels qu'ils sont. Du point de vue romanesque, c'était là une sacrée bonne idée. Une hypothèse audacieuse, et, on verra, fructueuse, supposant que son auteur possède, d'une part du caractère et du courage, et, d'autre part, un goût du jeu allié à une grande liberté de pensée.

            A première vue, il peut certes paraître paradoxal de parler de Michel Houellebecq comme d'un homme de caractère. Dans la société libérale où nous sommes, où le caractère d'un homme s'apprécie à sa capacité d'entrer en compétition avec ses semblables sur le plan sexuel et social, le personnage de Michel Houellebecq apparaît aux yeux de tous comme un looser. Un looser, c'est entendu, mais un looser qui réussit. Qui obtient ce résultat pour s'être lui-même accepté comme tel sans s'efforcer de paraître et de jouer les gros bras. De l'énergie de ce fait  lui demeure disponible pour l'écriture grâce à laquelle il lui est loisible de s'adonner à l'écriture et aux jeux de l'esprit. La plus belle métaphore de cette option de vie nous est donnée dans le film "L'Enlèvement de Michel Houellebecq" où l'auteur, kidnappé par une bande de gangsters, vit parmi eux en buvant du whisky, dans l'attente d'une rançon. Il ne s'insurge pas. Consent à sa nouvelle existence. Quand la rançon est perçue, on lui rend sa liberté et on lui offre "sa part". Vous avez bien compris : sa part de butin. Un bel exemple de ce que l'on peut nommer la stratégie du looser gagnant. (Ce que nous sommes tous, des loosers, à des titres divers, si nous y réfléchissons). Une stratégie qui suppose un consentement sans ressentiment à soi-même, aux autres et au monde. Une disposition d'esprit  qu'il pourrait être amusant et utile d'appliquer à la situation d'une France affaiblie, nerveuse, qui doute d'elle-même. Imaginez que "Fraternité Musulmane" parvienne au pouvoir, propose le roman de Michel Houellebecq, pourquoi prendre la chose au tragique ? Qu'arriverait-il ?

           Déployant une ironie discrète et continue, un peu sadique, l'auteur joue le jeu loyalement, sans rien laisser dans l'ombre. Quand François, son héros, revient à "L'Université Islamique de Paris-Sorbonne" d'où il a été écarté quelques temps, les choses ont changé. Les vêtements se sont modifiés. Les mini-jupes se sont envolées. Les jambes et les nombrils des filles ont disparu. On respire. "Les bureaux sont décorés d'affiches représentants des versets calligraphiés du Coran". Les Saoudiens, sur la Sorbonne, ont tout misé. Les salaires, notamment, ont augmenté. Les profs ont prononcé gentiment leur profession de foi musulmane (Une cérémonie discrète et chaleureuse). Steve, son ancien collègue, déjà réintégré dans l'institution, s'est marié à une étudiante. Il va prendre d'ici peu une nouvelle épouse. Le Président Mohamed Ben Abbes, en ce qui le concerne, voit gran et développe des idées larges. Il ambitionne d'inclure les pays arabes méditerranéens dans l'Europe. Celle-ci devenant enfin "Eurabia". Il s'imagine assez bien Président de la nouvelle Union.

            Le meilleur du livre est encore à venir et se trouve dans les pages où Michel Houellebecq, parl'intermédiaire de ses personnages, nous parle véritablement de l'Islam. De sa doctrine. De sa pensée profonde. (Avez-vous jamais, dans la littérature, entendu parlé de l'Islam ? Sincèrement, je vous le demande). Le romancier, lui, s'y emploie. Après avoir écrit, chose inattendue, quelques pages démonstratives sur l'existence de Dieu. "L'athéisme, peut-on lire, n'a aucune base solide". "L'univers porte à l'évidence la marque d'un dessein intelligent". Michel Houellebecq enfin nous étonne quand, pour évoquer l'attitude spirituelle fondamentale de l'Islam, celle de la soumission de la créature devant son Créateur (musulman signifie soumis) s'inspire de l'héroïne du célébre roman de Dominque Aury : "Histoire d'O". "L'idée renversante, écrit-il, est que le bonheur humain réside dans la soumission la plus absolue  (...). Il y a un rapport entre l'absolue soumission de la femme à l'homme, telle que décrit Histoire d'O, et la soumission de l'homme à Dieu, tel que l'envisage l'Islam". "L'Islam accepte le monde, et il l'accepte dans son intégralité. Pour l'Islam, la création divine est parfaite. C'est un chef d'oeuvre absolu. Qu'est-ce que le Coran, au fond, sinon un immense poème mystique de louange ? De louange à son Créateur et des oumission à ses lois" ?

            Après tout, l'Islam, pourrait ne pas être le grand Satan auquel veulent nous faire croire des individus psychopathes devenus fanatiques. Le roman de Miche Houellebecq, en revanche, si j'en juge à l'effet qu'il produit sur moi, pourrait bien avoir la vertu de décrisper nos pensées de propriétaires. De nous préparer à faire de l'Islam, dans notre pays, une place qu'il n'a pas encore.

o

 

 

 

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