Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
16 mai 2013 4 16 /05 /mai /2013 13:43

Littérature

Flaubert et la France

Quelques pensées consécutives à la lecture du livre de l’historien

Michel Winock

“Flaubert”

Gallimard, 2013

 

            Le 19ème siècle a 21 ans lorsque Gustave Flaubert naît à Rouen. Quelques années plus tard, la ligne de chemin de fer qui relie Paris à la capitale de la Normandie va s’ouvrir. Il faut à cette époque quatre jours pour se rendre de Paris à Marseille (en empruntant successivement le train, la diligence et le bateau). Le régime monarchique se restaure. Redevient impérial. Connaît une défaite militaire face à Bismarck, et trois révolutions avant d’accoucher, en 1879, du régime républicain dont nous sommes les héritiers. Notre pays a mis 90 ans pour achever la révolution commencée en 1789 (Peuples du Printemps arabe, prenez patience…). Le beau livre de Michel Winock, on le voit, ne nous fait pas seulement pénétrer dans l’intimité de l’un de nos grands écrivains. Il fait défiler sous nos yeux, à travers la subjectivité de son personnage, un siècle de notre histoire politique et sociale. De cette lecture captivante l’on ne sort pas tout à fait indemne. Mais profondément remué et songeur. Je vous parle, ici, principalement de mes songes. De Flaubert et de la France.

          J’ai d’abord mesuré, en compagnie de l’écrivain, l’énormité de la sottise que constitue la déclaration de guerre franco-allemande de 1870. Eprouvé tout comme lui la honte, la profondeur de l’humiliation qui affecte le cœur de notre peuple à l’annonce de sa lamentable défaite, celle-ci suivie de l’occupation du territoire par l’armée étrangère. Les Prussiens, goguenards, se pavanent à Rouen et logent à Croisset, dans la maison de Flaubert au bord de la Seine. Je fais l’hypothèse que c’est à ce traumatisme moral, doublé de celui des atrocités de la guerre civile qui suivit, qu’il convient d’attribuer le premier trait de ce que j’ai nommé naguère “la blessure narcissique de la France”. Un mal dont notre mémoire inconsciente souffre encore peut-être aujourd’hui. Et fait de nous un peuple un peu étrange, assez peu aimable. (Combien de fois n’ai-je entendu dire : “On aime la France, ses paysages, son art, ses idées. On n’aime pas les Français”). Ces maudits Français dont la personnalité et le génie de Flaubert pourraient être une emblématique incarnation.

flaubert 001

A lire l’ouvrage de Michel Winock, on demeure tout aussi méditatif devant la somme de contradictions dont semble tissée la personnalité d’un écrivain, auteur de deux livres aussi dissemblables que Madame Bovary et Salammbô. Enumérer quelques-unes de ses contradictions au fil de la plume en donnera je le crois une idée suggestive. Socialement, ce géant aux pieds d’argile (1m83) était sachez-le un bourgeois qui hait les bourgeois. Un anarchiste qui aime le confort de l’ordre établi. Un pacifiste qui prend les armes. Un philosophe sans objet rationnellement démontrable. Un mystique qui récuse l’existence du divin. Un ermite qui aime (de loin) les femmes. Et un bon vivant qui aimerait être mort. La vie relationnelle de l’homme offre les mêmes caractéristiques. Ce promoteur de l’art impersonnel est aussi celui qui encombre son entourage des outrances de son moi. Ce grand mélancolique est aussi un boute-en-train recherché. Un esthète qui profère des propos de charretier. Un homme cochon, dit-il, et cependant sentimental et romantique. Un solitaire parfaitement égoïste, cependant le fils ou l’ami le plus fidèle et dévoué que l’on puisse imaginer. Enfin un pourfendeur de la bêtise, entravé lui-même dans les rets de ladite bêtise. Cette liste, pour n’être pas exhaustive, n’en est pas moins éloquente. Flaubert est l’homme le plus entièrement paradoxal que j’aie jamais rencontré. Un faisceau innombrable de contradictions constitue sa personnalité. Et des contradictions d’une intensité telle que les contenir était de nature, peut-on supposer, à occasionner les crises d’épilepsie dont l’homme était régulièrement le sujet.

            Le paradoxe cependant le plus surprenant pourrait bien résider dans le rapport que cet incroyant anti-clérical entretient avec la personne de saints de l’Eglise catholique. Comment expliquer en tout premier lieu ce fait singulier : que cet homme qui ne croit ni à Dieu ni à diable, signe sa correspondance familière du nom de “Polycarpe”, évêque de Smyrne, martyrisé sous Marc-Aurèle, au second siècle de notre ère ? Comment expliquer, plus curieusement encore, que cet agnostique farouche ait passé une partie de sa  vie à rédiger (à sa manière il est vrai) des vies de saints ? “Les Tentations de Saint-Antoine”, “La vie de Saint-Julien l’Hospitalier”, celle de Jean-Baptiste dans la pièce “Hérodias”. Publications auxquelles il conviendrait d’ajouter “Un cœur simple”, la triste vie d’une pauvre servante qui se console de son malheur en adorant un perroquet. Qu’y a-t-il entre tous ces personnages et l’auteur qui les convie sous sa plume, si ce n’est le thème du Juste, ou de l’Innocent châtiés ? Un thème qui s’insère, chez Flaubert, dans un autre plus vaste, développé dans ses deux derniers livres : “Bouvard et Pécuchet”, et “Le Dictionnaire des idées reçues”. Ce thème englobant et unificateur étant, tenez-vous bien, celui de l’Imbécillité. L’existence du monde des humains, du monde des vivants, de l’univers en somme n’aurait d’autre vérité, dans l’esprit de Flaubert, que celle d’être un monde imbécile. Un non-sens, une absurdité, une histoire de fous, diraient d’autres. Cette conviction consciente et inconsciente structure et unifie, semble-t-il, la personnalité intellectuelle et existentielle du géant de Croisset. Lui confère la force de vivre. De tenir droit et entier dans ses bottes sans se fragmenter en de multiples morceaux. La vérité, plus qu’une fausse espérance, peut permettre à quelqu’un, oui, de tenir debout. C’est la leçon que je retire de l’ouvrage de Michel Winock.

L’Imbécillité, mes frères, gouverne le monde. Et Flaubert est son prophète.

            La France, pour revenir à elle, en serait-elle la Fille aînée ? La nation la plus consciente, la plus délurée, partant la plus rétive à jouer un jeu jugé idiot ? Il nous faudrait, hélas, pour en vérifier l’hypothèse, la mettre sur le divan….

Dieu sauve la Reine.

o

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le blog du Marquis de St-just
  • : Un regard ironique sur soi-même les choses et les gens plus recension de livres.
  • Contact

Recherche

Liens