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25 octobre 2013 5 25 /10 /octobre /2013 08:27

Littérature

Chantal Thomas

“L’échange des princesses”

Seuil, 2013

 

          Le roman de Chantal Thomas commence par une phrase ample, suggestive (non la plus réussie), et s’ouvre ainsi l’évocation d’un grand projet, un grand rêve possible : réconcilier deux royaumes par l’échange de princesses. Des filles encore nubiles, destinées à devenir reines, à engendrer de petits rois, et assurer par là la persistance des dynasties. “La gueule de bois n’a jamais empêché les bonnes idées, se dit Philippe d’Orléans en fermant les yeux dans les équivoques parfums de son bain. S’il les ouvrait, il aurait le regard bloqué sur ce gros corps ventru, blanchâtre, flottant dans l’eau chaude ; et cette bedaine de bête échouée, cette espèce de molle bonbonne gonflée par les nuits de débauche et de goinfrerie, sans lui gâcher le plaisir de la bonne idée, l’affaiblirait.

            Le roman s’achève en revanche sur des phrases courtes, haletantes. Elles sont de l’ordre du constat, d’un constat- d’échec. Les princesses échangées sont rendues, en loques, à leur pays d’origine : “Les princesses se croisent à nouveau, ne s’embrassent pas au passage. L’échange s’effectue en sens inverse. La reine douairière d’Espagne, contre l’infante-reine de France, une demi-folle contre une enfant déchue.” Fin.

            Longue ou brève, ironique ou froide, la phrase de Chantal Thomas est en général solide équilibrée, de bonne facture. L’artisan dirait : De la belle ouvrage. Et l’on ne peut en outre qu’admirer l’empathie avec laquelle la romancière a coulé son imagination dans l’intériorité de ses personnages afin de les animer. L’art du roman rejoint ici l’art du montreur d’images ou de marionnettes, qui donne vie à des objets sans voix, désignés seulement par des signes. Le portrait des couples d’enfants que nous livre ainsi l’auteure est, de fait, tout à fait saisissant. Il s’agit en premier lieu du jeune Louis XV et de la petite infante d’Espagne (âgés respectivement de onze et quatre ans, oui vous avez bien lu). Puis du jeune Luis, prince des Asturies, accouplé à Elizabeth d’Orléans (âgés respectivement de 14 et 12 ans). LOUIS ~1Malheureusement ( ?) en chacun de ces couples formés, l’un des enfants n’éprouve aucune sympathie pour le partenaire qui lui est imposé. Ce faisant, le refus obstiné d’entrer dans le jeu, que ces enfants opposent au pouvoir des Etats, est une impressionnante démonstration du pouvoir possible de l’individu le plus faible face à la puissance publique. En même temps, sur le plan politique, le vertige étant de voir l’état de guerre ou de paix, autrement dit le sort des nations, dépendre du sentiment qu’éprouvent innocemment de très jeunes enfants.

            Sous le grossissement qu’apporte l’écriture romanesque s’opèrent des tractations diplomatiques et des drames affectifs qui déterminent, en un lieu donné du territoire, l’histoire de l’Europe. Laquelle, durant des siècles, fut une histoire de famille, de dots et de succession. Une histoire se jouant ici dans l’affectivité singulière de deux enfants. Sur l’éveil ou non, au secret de leurs sens, d’un picotement libidinal. Dieu, comme on sait, réside dans les petites choses. Un Goncourt possible.

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