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19 novembre 2011 6 19 /11 /novembre /2011 14:43

Philosophie

 

Dany-Robert Dufour

“L’individu qui vient

 … après le libéralisme”

Denoël, 2011

 

            Un livre courageux, de grande lucidité. De ceux qui réordonnent le monde de vos pensées lorsque le ciel et la terre, autour de vous, semblent la proie d’un séisme et offrent le spectacle d’une grande confusion. Vous reprenez pied. Ceci est bien l’endroit. Ceci est bien l’envers. C’est de là que nous venons. C’est vers là que nous allons. Fin du vertige. La vie en tant qu’humaine redevient possible.

            Dany-Robert Dufour est philosophe. Il scrute le fond des choses. Et c’est un homme qui n’a pas peur. Pas peur de quoi ? Du sarcasme des ultras. Les ultras des deux bords. De ceux qui maudissent le Marché en faisant leur marché. De ceux qui préconisent le Marché, et même le tout-marché, et implorent toutefois le secours de l’Etat. Ni peur de l’opinion des centristes, qui le trouveront trop conservateur ou trop révolutionnaire.

            La crise que nous vivons, observe D-R. Dufour, n’est pas seulement une crise économique et financière. Elle est une crise systémique. Tout à la fois marchande, sociale, politique, culturelle et psychique. Une crise de civilisation. Nous sortons du patriarcat. Civilisation dominée par la figure du Père (le chef, le maître, la propriétaire, le tyran). Celui qui porte la loi. Loi qui définit les limites, hiérarchise, assujettit, réprime. Etablit la coupure, la différence. Différence entre les sexes, entre les générations, entre nature et culture, entre corps et âme. Etant bien entendu que le petit d’humain, pour devenir un homme, doit grandir, se hausser, s’élever. En quelque sorte naître deux fois. Une première fois dans la nature, une seconde fois dans la culture, dépassant par là son animalité. Sur ce point se sont accordés les deux “grands récits” dont hérita l’Occident, l’un religieux, l’autre philosophique. Socrate et Jésus, en quelque sorte, même combat. Or c’est pour une large part également grâce à eux que l’Occident à inventé (il n’y a pas si longtemps) cet être original qui n’a toujours pas trouvé son juste nom : l’individu. L’individu humain autonome, libre de choisir son destin, égal en droit à tous les autres, y compris les princes. Un individu assujetti néanmoins à la loi oedipienne de la retenue des pulsions et de l’assignation à des places. Loi qui constitue la colonne vertébrale du sujet humain dans la société patriarcale.

            Aujourd’hui, cool ! Le sujet humain sur son sofa s’affale et se dorlote. L’idéal du moi ne consiste plus à plaire au père en se dépassant. L’individu ordinaire se trouve réduit au ça et au moi. Au ça pulsionnel et au moi narcissique. Le moi narcissique qui exige de lui d’être un premier, un gagnant, un vainqueur. Nous lui souhaitons bien du courage. Le ça pulsionnel est le grand gagnant. C’est à lui, à lui seul que s’adresse le message imaginaire et social dominant. Le message des images, des objets, de la pub, de la mode, du look, des marques, des propos mondains. A cet individu consommateur et grégaire il s’agit de lui en mettre plein les mirettes. Avant de lui en mettre plein les trous, et peu à peu, le rendre addict aux objets, à la marchandise. L’ère est ouverte, s’amuse à écrire D-R. Dufour, du “tout à l’ego”. Qu’est-il arrivé ?

            Il est arrivé dans les années 80, la résurgence d’un grand récit que le fascisme puis le communisme avaient rendu silencieux. Un récit né au 19ième siècle avec Adam, entendez Adam Smith, selon lequel on obtient beaucoup plus des gens “en s’adressant à leur égoïsme plutôt qu’à leur humanité”. Qu’en travaillant à la réalisation de son intérêt personnel on travaillait à coup sûr (quoiqu’à son insu) au bien commun de l’humanité. Ceci en vertu de la croyance qu’une main invisible (sous-entendu celle d’une divinité) conduit l’intérêt égoïste de chacun. Pour une révolution de la pensée, ç’en était une ! Et combien séduisante, et combien hasardeuse. Et propre à révulser le taliban au regard clair. Car tout soudain ce qui était vertu devenait vice, et ce qui était vice devenait vertu.

            Le libéralisme économique envoie au diable la subordination au chef, l’assujettissement au maître. Au diable les règles et les lois qui régissent l’action et inscrivent dans l’espace des limites et des périmètres. Au diable la morale et vive les désirs, les pulsions, les envies, les caprices, et tout ce qui les suscite. En eux résident le moteur et le champ de l’économie. Un champ dans lequel tout s’indifférencie en ce sens que tout se ramène à un chiffre, et par là s’achète et se vend. Nulle sacralité, nulle démarcation perçues dans le réel (fût-ce la différence des sexes) n’échappe à cette réduction de tout à l’objet marchandise. Désormais “Tout est possible. Tout est permis”, et de surcroît illimité. “Il est donc interdit d’interdire”. Ce que chantait la jeunesse de Mai 68 sert aujourd’hui de ligne de conduite et de tarte à la crème au libéralisme… Jusqu’à cette crise de civilisation à laquelle nous sommes confrontés, tandis que cela craque de toutes parts, et en tous les domaines. La problématique à laquelle D-R Dufour aboutit, au cœur de son livre (et je m’en tiendrai là) s’énonce en somme comme suit : Comment rejeter aujourd’hui tout ce qu’il y a d’obsolète et d’insupportable dans le patriarcat, sans perdre ce qui en lui permet à l’homme de n’être ni un barbare ni un loup ? En d’autres termes : L’individu égoïste d’aujourd’hui laissera-t-il place, demain, à l’individu altruiste ?

            Ce n’est là qu’un aspect central d’un ouvrage infiniment riche dans lequel l’auteur, bien que philosophe, ne prend nullement la pose. Son discours est fraternel et familier (ses étudiants très certainement l’appellent Dany). Il ne m’en voudra pas d’avoir ajouté à sa composition quelques notes de couleur psychanalytique de mon cru. Je lui sais gré, quoiqu’il en soit, de nous donner un livre qui aide à traverser l’histoire contemporaine par gros temps. Un livre phare.

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