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24 novembre 2011 4 24 /11 /novembre /2011 08:09

Littérature

Emmanuel Carrère

 “Limonov”

P. O. L. , 2011

 

            Limonov n’est pas un personnage de fiction. Il existe. Je le connais. Il a été voyou en Ukraine ; idole de l’underground soviétique sous Brejnev ; clochard puis valet de chambre d’un milliardaire à Manhattan ; écrivain branché à Paris ; soldat perdu dans les guerres des Balkans ; et maintenant, dans l’immense bordel de l’après-communisme en Russie, vieux chef charismatique d’un parti de jeunes desperados. Lui-même se voit comme un héros, on peut le considérer comme un salaud : je suspends pour ma part mon jugement.

C’est une vie dangereuse, ambiguë : un vrai roman d’aventures. C’est aussi, je crois, une vie qui raconte quelque chose. Pas seulement sur lui, Limonov, pas seulement sur la Russie, mais sur notre histoire à tous depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale.”

            Emmanuel Carrère résume en ces mots son ouvrage. La concision, le ton. Tout y est. Rien ne manque. On ne pouvait faire mieux. Nous sommes en présence, nous le savons d’emblée, d’un maître écrivain. Il nous présente ici un grand livre. Le livre d’une société, d’un homme, d’une époque. Il parle russe et connaît son affaire (il a de qui tenir comme chacun sait). Et ce qu'il nous apprend nous amène à réviser des jugements approximatifs que nous portions sur les dirigeants russes des années 80 : Gorbatchev, Eltsine, et même Vladimir Poutine.

            Ce qui m’impressionne toutefois au plus haut degré, dans ce récit passionnant, ne tient pas au sentiment d’étrangeté que produit sur nous la Russie, ni même à la personnalité surprenante du héros. Mais à la démarche personnelle et littéraire de l’auteur. Ce qui me captive, dans Limonov, c’est Emmanuel Carrère. Ce que je vois se dérouler sous mes yeux, à la lecture de son livre, est exemplaire. Exemplaire de ce que peut être l’essence du geste de culture. Soit l’exercice d’un désir profond de connaître et comprendre l’autre, doublé de la capacité à intérioriser son être, du moins sa manière d’être. Et ce, au risque d’en être soi-même transformé. Aussi intrigante et attachante que soit la personnalité de ce voyou de Limonov, (écrivain talentueux, mais “prêt à tuer”), on ne peut imaginer homme plus éloigné de la personne de l’auteur. Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’était pas son genre. Et pourtant, autant que la chose était concevable, Emmanuel Carrère s’est approché de cet homme, assez peu fréquentable, reconnaissons-le. Jusqu’à adopter sa forme de langage, sa manière de parler. Sous les apparences d’un garçon sage et de bonne éducation, l’auteur de “l’Adversaire” et “D’autres vies que la mienne” est un explorateur passionné et hardi de la différence des êtres.

            Avec ce nouvel ouvrage, non seulement son vocabulaire mais également son style s’est trouvé modifié, s’est dirait-on délié. Dans son œuvre il y aura, je le crois, un avant et un après Limonov. Aussi l’auteur est-il à suivre de près. Oui, surveillez Carrère. L’homme n’a pas fini de vous surprendre.

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