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7 septembre 2009 1 07 /09 /septembre /2009 09:26

                                                                                                                                          Intime

Vers le pays perdu

 

            Blesle. Ce village médiéval jadis fortifié s’allonge à l’étroit entre rivière et montagne. Il abrita pendant des siècles une abbaye bénédictine. Une tour de guet, un donjon, un haut clocher roman sont les vestiges d’un passé glorieux. Qui connaît Blesle à présent ? Cette bourgade est pour Carla et moi, aujourd’hui, une tête de pont, un poste avancé.

            A mille mètres en deçà : notre hôtel : “Le Scorpion”, abrite notre quartier général et notre camp de base. C’est une bâtisse jaune, posée dans un pré, au pied de la falaise, au bord de l’Allagnon. L’hôtelier (hollandais taciturne) n’a jamais entendu parler de Descartes et  de Spinoza. Mais la saison pour lui a été bonne. Et il se dispose à partir en automne en “Nollande” pour marier ses deux filles. Ce détail, purement anecdotique, n’a rien à voir avec la suite du récit.

            Le choix de Blesle comme poste avancé était une erreur stratégique. On n’attaque pas le Cézallier par le flanc Est. Ce massif est un “pays coupé”, morcelé par des gorges profondes. Sur les hauteurs, pour atteindre quelques maisons qui semblent proches, à portée de voix, il vous faut faire un long détour de plusieurs kilomètres. Les vallées qui paraissent conduire à un col, finissent en cul de sac. Sous l’ombre des forêts vous longez la Voireuse, parvenez à La Vialle, ou au village de Leyvaux, et c’est l’impasse. La route s’arrête net, prend l’aspect d’un chemin pierreux ou herbeux. Les sommets sous le vent vous sont refusés.

            Vous ne regrettez pas votre erreur. A votre insu, vous êtes entré dans une contrée de l’impensable. Une église rustaude s’y trouve implantée. Son clocher en peigne, très beau, surplombe des maisons en ruines assaillies par les ronces. Comment, pendant des siècles, et jusqu’il y a peu, des humains ont-ils pu vivre là ? Pauvres, isolés, sans gaz, sans électricité, sans auto, sans téléphone, sans recours, à dix kilomètres du bourg le plus proche ? De cet inconcevable pour l’homme contemporain, nos meilleurs écrivains actuels (tous issus du Massif Central) ne sont pas vraiment revenus. Ils trouvent en cette stupeur, je le crois, l’origine de leur force littéraire.

            Vous rebroussez chemin. Non morose, mais songeur. Et c’est la fin du premier jour.

 

            A l’hôtel Scorpion, l’état-major tient conseil. L’assaut du Cézallier n’est pas l’opération première. Le but convoité est ponctuel. Il s’agit de localiser, puis d’atteindre, un petit hameau. Un hameau perdu, solitaire, haut perché, des hauteurs duquel, dans le lointain, se découvre le dôme, ou l’ombre, du Mont Luguet. C’est du moins ce que mentionne le document. Le roman de Pierre Jourde (notre indicateur, écrivain, dont le père est originaire de l’endroit) nous livre, si l’on y regarde d’un peu près, un itinéraire très précis. L’auteur, hélas, a dû se montrer prudent. Et taire les toponymes. Une replongée dans le texte s’impose :

            “…On va de ramification en ramification, est-il écrit, avec cette circonstance aggravante qu’on emprunte toujours la branche secondaire.” “On prend la direction d’une bourgade écartée de deux kilomètres. Mais on ne va pas jusque là. On bifurque à nouveau très vite vers un autre village moins important. On longe une vallée de prairies et de vergers entre les montagnes couvertes de petits chênes presque estompées d’usure.”.Et plus loin : “Encore un plateau à l’extrémité duquel, un bref instant, avant de replonger (..) dans une pente obscurcie par des sapins noirs, on peut apercevoir le but.”. Enfin, sur une autre page : “Aujourd’hui, on a prolongé la route. Elle va rejoindre les hautes prairies où les troupeaux de Salers restent à l’estive. Mais elle passe derrière le hameau qui persiste ainsi dans son statut de cul de sac.” “A peine un lieu.”. “C’est un pays perdu, dit-on. Pas d’expression plus juste. On n’y arrive qu’en s’égarant. Rien à y faire, rien à y voir.”

            C’est précisément l’évocation de ce rien qui nous fascine et nous attire, Carla et moi. Mais accompagné de “cette jouissance des grands dévalements en plein ciel et de cette liberté ”. C’est exactement ce que nous sommes venus chercher. En communion d’âme, espérons-nous, avec le beau livre de Pierre Jourde, “Pays Perdu (1)

            “Là est notre objectif”, décidons-nous, un doigt planté sur un point indiqué sur la carte. Tout de même, pour nous en assurer, nous pratiquons à Blesle le renseignement. –“Ah ! oui, répond le villageois, nous avons entendu parler de ce Monsieur Jourde. Son village,en effet, porte le nom que vous mentionnez. C’est bien ça Henriette ?”. Henriette confirme, c’est bien ça.

Deuxième jour.

            Dès six heures du matin, le lendemain, nous sommes sur la route. Chemin cette fois des écoliers, lesquels flânent, se dévoient, mais savent parfaitement où ils vont.

            Le plaisir fût celui des cimes. Des grands horizons. Du spectacle des troupeaux paisibles. La joie également de vérifier que nous avons bien lu. Le site, le hameau séparé en deux, les maisons de pierre, le petit cimetière sont proches de ce que l’auteur nous avait donné d’imaginer. La surprise est de trouver la vie, plutôt que le rien. Des petites dames aimables, en tablier, sur le seuil des maisons. De jeunes hommes gais, qui nous adressent un geste amical du haut de leurs tracteurs bleus. Enfin au bout du hameau, la maison de Pierre Jourde, restaurée, fleurie. Désormais une demeure de vacances…

            Etat-major satisfait. Atteint le but qui avait incité à partir. Restait à prendre le Cézallier. A parcourir ses flancs. Et, en guise d’apothéose, à gravir le chemin pierreux qui mène au sommet du Luguet, volcan allongé plus élevé que le Puy de Dôme, qui culmine à une altitude de 1550 mètres. Là, nous découvrir au sommet d’un triangle horizontal presque isocèle. Un triangle dont la base, parcourue du regard, est déterminée au nord par la cime du Sancy, au sud par le Plomb du Cantal. Entre ces ombres lointaines : un horizon désert, immense et fabuleux, où serpentent les lignes voluptueuses d’un corps de femme à la peau d’herbe, offerte sous le soleil. La séduction originelle.

                                                                              Ö

(1) – Pierre Jourde « Pays Perdu », Editions l’Esprit des Péninsules, 160 pages, 2003.

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commentaires

I
Ce pays perdu, je l'ai cherché comme vous en ce début septembre. Grande émotion, sous le Luguet. J'en parlerai bientôt. Bien à vous,<br /> D.
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