Intime
Un moment parfait
Nuit. Carla et moi, allongés dans le noir, sommeillons côte à côte sous la couette. Nous goûtons la quiétude d’un grand lit douillet posé à même le sol sur le rectangle d’un vaste tapis. La veille, nous avons dîné, pour honorer la venue de la dame, d’un fabuleux “Jambon-chips-salade” arrosé de pastis. En nous endormant, nous étions un peu pompettes. A présent, chacun se croit seul réveillé, après avoir bénéficié d’un bon gros sommeil réparateur. Le silence est profond. Il est trois heures du matin. La radio, doucement, diffuse une musique. Une musique d’une élégance merveilleuse. Sous le jeu habile de ses doigts, le pianiste semble créer magiquement chaque note. Chacune est un joyau. Un perle d’une pureté incroyable. Elles dessinent, dans leur déroulement, les méandres d’un collier accroché au cou de la nuit.
“Prodigieux ! Ce que l’on entend ici est prodigieux”, dit une voix. Qui a parlé ? Nous savions-nous tous les deux éveillés ? Cette voix est la mienne, puisque celle de Carla lui répond, identifiant l’œuvre sur le champ : Sonate pour piano en Si mineur de Liszt. Interprétée peut-être par Claire-Marie Le Guay.”
Un moment plus tard, adossés aux coussins et autres polochons, nous devisons, tels des villageois sur le banc de leur vieille maison. Les volets sont ouverts. La grande fenêtre horizontale laisse apparaître la nuit. Il est 3h30. Nous allumons. La journée pour nous commence. Bientôt, se penchant sur le côté, chacun saisit son livre de lecture. Rires. La situation est cocasse. Carla tient dans ses mains “Soumission”, de Michel Houellebecq. De mon côté, j’ai ouvert le dernier roman de Virginie Despentes, au titre imprononçable de “Vernon Subutex”. Deux écrivains représentatifs du fragment de siècle où nous vivons. Comment ne pas interrompre de temps en temps la lecture de l’autre en citant une phrase ? Petit café amer vers 4 heures du matin. Un café appelé “Préalable”. Préalable à quoi ? Mais au lent rituel du petit déjeuner de Carla, le tout constituant un moment parfait. Pourquoi, ce moment, ne pas l’énoncer au milieu des horreurs du monde ? Nous rappelant la Corniche des Cévennes, il y a 20 ans, la forêt sur le bord de la route, au-dessus de la somptueuse Vallée Française. C’était un matin de septembre, il faisait beau. L’auto, rapide, pleine de musique, était venue se garer non loin de nous, diffusant une pièce pour piano attendue, aurait-on dit dans le paysage. “la Romance en fa de Robert Schumann, avait murmuré Carla, dédiée à sa femme, Clara”… Un moment, comme celui-ci, inoubliable. Les bonheurs se répondent.
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