Intime
Adieu
Adieu mon coussin. En cette année 2011 on t’a mis au rebut. Tu vas me manquer. J’appréciais ta discrétion. J’admirais ta modestie. Personne, à l’exception de moi, lorsque tu jouais à cache-cache, n’avait souci de ton existence. Une telle indifférence n’avait pas pour effet de te froisser. Ni ne te déprimait, quelquefois, le geste désinvolte qui t’envoyait promener. Ton bonheur était d’être là, en famille, autour de la table. Occupant dans l’ombre la place qui t’était assignée. Mine de rien : un endroit stratégique. D’où l’on aperçoit sans être vu la moitié du monde. Le monde d’en bas. Rien de ce qui est humain, de ce fait, ne t’était étranger. Et c’est mon poids, mon propre poids que tu devais supporter. De cela, sache-le, je garde mémoire. Une fois le repas achevé, le couvert retiré, c’est là qu’on te retrouvait, rondelet, pimpant, la panse dodue. Et non sous l’aspect d’un objet piteux, exsangue, ayant connu l’état de siège.
Il y avait entre nous une intimité. Coxinophile impénitent (coxinus en latin : coussin) j’avais pour toi, je le confesse, une inclination. J’aimais ta peau. Son grain. Sa couleur aubergine. Le doux bombé de ta chair molle. Tu assurais le velouté de mon assise, et de surcroît tu m’exhaussais. Du fait de ton soutien j’apparaissais plus haut. Pouvais me prévaloir d’un surplus de prestige. Peut-être même d’un semblant d’autorité. Les autres ne s’y trompaient pas. Ils te dotaient pour te nommer d’une majuscule. Quelquefois d’une particule. “N’y touchez pas, s’écriaient-ils, c’est le Coussin du Marquis” (Le marquis Arnold de St Just de mes Deux, ajoutaient-ils, in petto, je présume.) –“Enfantillage”, estimais-tu. Ils te conféraient, la chose est patente, le statut d’un objet noble. Voire sacré. Noble et sacré, humblement tu l’étais. Hélas tu n’es plus. Je me sens tout petit.
Adieu, cher coussin, adieu cher complice. Au ciel réserve-nous un siège. Un siège pour deux à la table des dieux.
o