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4 janvier 2014 6 04 /01 /janvier /2014 09:04

Politique

Isabelle Mandraud

“Du djihad aux urnes”

Stock, 2013

 

          Isabelle Mandraud, journaliste au Monde, est chargée de recueillir des nouvelles du Maghreb. L’occasion lui a été donnée de rencontrer un personnage qui mérite que l’on s’attarde à savourer en sa compagnie une tasse de thé à la menthe. Il s’agit d’un homme politique libyen qui fut dans les années 90 un compagnon de route de Ben Laden, sans toutefois appartenir à Al Qaïda. Abdelhakim Beladj, tel est son nom. Il est aujourd’hui âgé de 48 ans. Il fut l’émir (le chef) du G.I.C.L. (Groupement Islamique et Combattant Libyen) l’équivalent du G.I.A. (Groupement Islamique Algérien) mieux connu de nous. L’homme participe en 2011 à la libération de Tripoli dont il devient le gouverneur militaire. Il prend part ensuite, sans être élu, aux premières élections libres de son pays. Il se trouve aujourd’hui à la tête du parti qu’il a lui-même fondé, EL WATAN. On considère cet homme non seulement comme un modéré, mais un arbitre, un conseiller. C’est avec générosité qu’il accepte de s’entretenir longuement (plus de soixante heures) avec Isabelle Mandraud. “Islamiste”, l’homme assume et revendique cette nomination. Mais l’islamisme, entend-il faire savoir, se différencie d’Al Qaïda. N’est nullement le mouvement obscurantiste et fanatique que l’on veut nous faire croire. L’islamisme, soutient-il, est soluble dans la démocratie. Avant que de tenir aujourd’hui ce discours, le parcours que cet homme dut accomplir est hallucinant. abdelhakim belhadj

             En l’année 1978, un vendredi, jour de repos dans le pays des sables, une usine de produits alimentaires flambe. A tort, le père d’Abdelhakim est tenu pour responsable. La justice  de Mouammar Kadhafi le condamne à quatre ans et six mois de prison. Sa famille, qui compte 9 enfants, est décapitée. Abdelhakim a 14 ans. C’est un enfant tranquille et pieux. Mais l’humiliation faite aux siens, comme l’injustice faite au père, marquent son cœur à jamais. La brutalité du régime se fait insupportable. Kadhafi, tel “le piquet qui soutient la tente”, s’avère l’homme à abattre. Ayant passé son bac, le jeune homme apprend l’architecture et rencontre la première cellule clandestine de résistance au despote. Et c’est l’époque du grand appel au djihad, lancé depuis l’Arabie Saoudite. Prêter main forte au peuple afghan écrasé par l’armée soviétique s’impose comme un devoir. Cet appel à la guerre sainte paraît légitime. Abdelhakim a 22 ans. Il s’embarque pour l’Afghanistan via le Pakistan. Eprouve les épreuves de l’entraînement militaire puis celles des combats. Jette les bases avec ses compatriotes de ce qui va devenir le G.I.C.L. Et rencontre Ben Laden en tant que combattant. Blessé une seconde fois, mais cette fois au ventre, il est évacué jusqu’à Peshawar, au Pakistan, avant d’aller prendre ses quartiers à Khartoum, au Soudan. Il y rencontre à nouveau Ben Laden. Puis, recouvrant la santé, fomente des tentatives d’assassinat à l’encontre de Mouammar Kadhafi. Tous les attentats échouent. Tandis que les services spéciaux libyens, dans les rues de Khartoum, promènent des membres de la famille d’Abdelhakim pour l’inciter à se montrer. Notre héros flaire le piège. Il lui faut cependant quitter ce pays dans lequel il a séjourné 4 ans. On le retrouve en Turquie, à Istambul, où il va également demeurer quatre ans. Au début de l’an 2000, à l’appel de Ben Laden, il rejoint Kandahar au Pakistan, où ce diable de Saoudien a posé ses pénates. L’intention du chef d’Al Qaïda, les soviétiques ayant été refoulés, est de rassembler les groupes islamistes nationaux dans un vaste projet commun, nouveau et global. Ce que l’on peut nommer la confrontation de Kandahar va marquer l’échec du rêve de Ben Laden de déclarer une guerre universelle, semble-t-il, à la moitié du monde. “Si l’Islamisme a échoué contre les Etats, est-il persuadé, c’est qu’ils sont soutenus par les Etats-Unis. Le djihad doit être global, viser les juifs et les croisés. Mais c’est à la tête qu’il faut viser. (“Le Centre Mondial du Commerce”, quelques mois plus tard, va être frappé de plein fouet). L’émir Abdelhakim Belhadj se lève alors, exprime son désaccord : “Pourquoi veux-tu combattre les juifs et les chrétiens ? Veux-tu les éradiquer de la terre ? Quand le prophète a fondé Médine, ne l’a-t-il pas fait avec les juifs et les chrétiens ? Et quand ses compagnons étaient martyrisés à la Mecque, ne les a-t-il pas envoyés vers le roi chrétien d’Ethiopie ?”. On donnerait gros pour connaître le détail d’un débat dont on n‘a ici que la quintessence, et dont on sait qu’il a duré 72 heures non stop. Quelques mois plus tard, de Karachi où Abdelhakim a posé ses valises, il observe ahuri, sur Al-Djezeera, entouré d’une trentaine de ses hommes, l’effondrement des tours du World Trade Center. “Préparez-vous à vous enfuir, leur conseille-t-il, vous ne trouverez aucun lieu pour vous abriter.” Et c’est alors le commencement d’une grande cavale à travers l’Asie. Elle va durer 4 ans (encore ce segment temporel qui revient sans cesse). Les pays dans lesquels il pénètre en fraude, certains le mettent en prison, aucun d’eux ne consent à lui accorder asile. On trouve sa trace en Afghanistan, en Iran deux fois, en Irak, en Malaisie, à Pékin, à Canton, en Malaisie encore, en Thaïlande, à Bangkok où la C.I.A. l’intercepte, le ramène en Libye, le livre à Kadhafi. Fin du périple. Voici l’homme mis aux fers dans les geôles d’Abou Sélim. On l’interroge, on le torture, et après quatre ans, on le juge. Il se voit condamné à mort pour crime contre l’état. Son exécution est cependant reportée. Mouammar Kadhafi veut obtenir une réconciliation. Il l’obtient à l’usure, au terme de deux longues années. Abdelhakim se retrouve alors en liberté surveillée dans son pays, après 22 ans de clandestinité. La cause qui avait animé toute se vie : renverser le despote de son trône a pu, un moment, lui paraître à jamais perdue. C’est alors que la Tunisie flambe. On connaît la suite.  

Citations.

           Il ne s’agit pas d’abandonner le djihad. C’est une partie de la religion. Cela fait partie de l’Islam. Mais il s’agit d’expliquer ce que c’est. Comment il s’exerce. Contre qui et quand”. “Le djihad est un outil de légitime défense. Pour défendre sa terre et ses biens. Limité par une géographie, une pratique et une durée précise.”. “Il existe certes des gens parmi nous qui nuisent à l’Islam et la charia.”. “Une minorité de musulmans est dans une réaction incontrôlée.”. “Mais l’opinion des islamistes n’est pas contradictoire avec l’universalité des droits humains et un état civil.”. “La première constitution de Médine a été faite par des musulmans et des non musulmans.”

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