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23 novembre 2013 6 23 /11 /novembre /2013 18:24

Littérature

Suzanne Collins

“Hunger Games”

Pocket Jeunesse, 2009

 

          Bérénice. 16 ans. Le plaisir pétille dans ses yeux. “Si vous ouvrez ce livre, nous prévient-elle, vous ne pourrez plus le refermer.” Je lui emprunte ce livre. Sa lecture me trouble. A quel genre de littérature ai-je affaire ? Un innocent divertissement à l’adresse de la jeunesse ? Un livre maléfique, banalisant le mal absolu ? A grands traits, pour vous donner la capacité d’en juger, j’en restitue la trame.

            Il y a 74 ans, un fait intolérable se produit au pays imaginaire de Panem. Un soulèvement populaire visant à renverser le pouvoir central, la dictature. Le Capitole envoie ses chars et ses avions. Le Treizième district, d’où a surgi l’insurrection, est rayé de la carte. Les douze autres districts sont ceinturés, isolés les uns des autres, mis en rivalité. Et à chacun, pour faire bonne mesure, est imposé le Traité de Trahison. Celui-ci est encore en vigueur aujourd’hui. Il condamne les habitants à subsister sous un régime de famine, de misère, et de travaux forcés. Chaque année, de surcroît, obligation est faite de célébrer ce que l’on doit appeler La Fête des Moissons. La fonction de cette fête est de réactiver, s’il en était besoin, le sentiment de repentance du peuple. Les “gerbes” moissonnées, faut-il dire, sont métaphoriques. Elles sont le corps de deux enfants du pays, un garçon et une fille, âgés de plus de douze ans. Leurs noms sont tirés au sort, un bien triste sort. Les malheureux auront en effet à défendre à la fois leur peau et les couleurs de leur district au cours de jeux très spéciaux : Les Jeux annuels de la Faim (Hunger Games). Le tirage au sort se déroule durant une cérémonie qui a lieu sur la place publique. La présence de tous les habitants est requise. Chacun ayant à revêtir pour s’y rendre ses plus beaux atours, s’il en a. Vingt-quatre joueurs sont ainsi désignés, puis regroupés au pays de Panem, et enfin lâchés dans un paysage qui forme un cirque autour d’eux. Les Jeux peuvent commencer. La règle qui préside à leur déroulement est simple : les concurrents ont pour mission de s’entretuer jusqu’à ce qu’un seul survive, proclamé le vainqueur. Les paris sont ouverts, le spectacle est télévisé. L’heureux gagnant, meurtrier de ses compagnons, honore son district. Il est porté en triomphe. Il bénéficiera dans la vie sociale d’un régime de faveur. Deviendra une personnalité locale respectée, au service du pouvoir central et du Capitole.

            Ce montage diabolique pourrait être le scénario d’une émission de téléréalité ou d’un jeu vidéo. Il constitue déjà l’ossature d’un film à grand spectacle. Il est ici la trame de ce roman de 400 pages que l’on doit à l’américaine Suzanne Collins.

            S’y greffe naturellement une histoire d’amour mais sans sexe, entre une adolescente qui sait se servir d’un arc et de flèches, et le garçon de son district qui lui fait les yeux doux, le fils du boulanger. La situation est doublement cornélienne. Comment aimer celui qui sans doute vous tuera (afin d’être l’heureux survivant) ou que, pour le même motif, vous devrez tuer ? Ce drame intime se déroulant sous l’œil des caméras. En somme : le supplice moral d’un peuple sur le mode du spectacle, de la fête et de la participation.

            Dans les camps d’extermination, comme on sait, les tortionnaires nazis s’ingéniaient à faire jouer par des orchestres de détenus des œuvres de Mozart. Non contents de tuer les corps, ils tuaient l’esprit. Rendaient l’autre fou. L’inconcevable était montré comme une vérité de raison. L’extermination comme une cérémonie voire une fête. La fumée des fours crématoires, comble du sadisme, aurait pu s’harmoniser avec les accents de la Flûte Enchantée. Or, c’est au spectacle littéraire d’un sadisme de même nature que nous convie ce roman de Suzanne Collins pour la jeunesse.

            A quel genre d’ouvrage avons-nous affaire ? A ce sujet, je m’interroge. A un récit sadique, truffé de nobles sentiments pour aguicher l’adolescence ? A un roman d’anticipation dont le dessein est au contraire de l’aguerrir, l’adolescence, face à la cruauté d’un monde qui vient ? A un écrit cynique et donneur de leçon, visant à humilier le lecteur ? A susciter en lui la honte, la honte d’avoir été complice, par le plaisir même qu’il a pris, d’un scénario infâme ? A un ouvrage éminemment politique mettant en évidence, à des fins critiques, les pratiques sociales d’un régime totalitaire ? Ou avons-nous simplement affaire à une fiction innocente, a effet cathartique, se justifiant de l’annonce d’une suite, d’un ouvrage ultérieur intitulé la Révolution ? (rayer la mention inutile)

            Ce livre-là, ajoute et nous confie Bérénice fut mon premier livre. Le premier gros livre que j’ai lu. Il m’a donné le goût de lire.” Le goût peut-être aussi, me dis-je, de lire le monde ? Le bon diagnostic serait donné par la jeunesse ?

            Dernière heure. Carla a aperçu l’affiche annonçant la parution du film intitulé “Hunger Games II : l’Embrasement”, courez le voir.

 

    affiche-hunger-games.jpg     

 

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