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22 juin 2013 6 22 /06 /juin /2013 10:38

 

CARTE POSTALE N°4

 

La leçon des ténèbres

 

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            Au bord du monde”, disions-nous. Comme on peut dire “au bord de la mer” sans y avoir trempé le pied. Sans en avoir éprouvé par gros temps la violence. Méconnaissant le poids de peine, de servitude et de malheur dont s’alourdit la condition des gens de mer.

            Au bord du monde, en Margeride, nous avons rencontré la beauté. La pureté des paysages. Nous nous sommes crus, Carla et moi, en paradis. Notre regard, animé de légendes, était géo-esthétique. C’était le regard des anges. Du ravi de la crèche. En font état les “cartes postales” qui précèdent. Et sans doute sont-elles admirables les maisons, les étables et les granges qui composent les hameaux, les villages de ce haut pays. Ces constructions bâties d’énormes pierres de granit, ajustées semble-t-il sans ciment pour les joindre. Cependant quels bras les ont taillées ? Quels bras les ont charriées, portées, hissées jusqu’au sommet des toits ? Disposant de quels moyens ? Au prix de quel salaire ?

           Du côté du Nord, comme du côté de l’Ouest, votre village est remarquablement abrité du vent”, félicitons-nous monsieur le Maire. –“Malheureusement, nous ramène à la réalité celui-ci, les mains posées sur le rebord de la fenêtre, c’est de là, du côté du Sud, que nous margeride6 001arrive en tourbillon le vent mauvais.”. L’homme nous parle alors de l’hiver. Des chevaux du pays, le poitrail enfoui dans la neige. Des 80 km de routes communales qu’il lui faut entretenir ou déneiger. Evoque les châteaux assiégés et rasés durant la Guerre de Cent-Ans. Les guerres de religion qui ont sévi au 16ème siècle puis sous Louis XIV, quand la Margeride devient le dernier bastion catholique face aux Cévennes protestantes. Ce qui explique l’absence de temples en cette région, et la bonne conservation des églises.  Au 18ème siècle, après la Peste Noire, une bête énorme, non identifiée, terrorise le pays. Dévorant, une à une, plus de cent personnes dont des petits enfants. On envoya la troupe, vainement. Dans un village proche, un monument aux morts est érigé que surmonte un soldat bleu horizon brandissant un fusil. Trente noms. Trente noms pour un si petit village sont gravés en mémoire des enfants du pays disparus dans les affres de la guerre de 14. Cela fera 100 ans. (Et comme chaque fois, me croirez-vous, je refoule un sanglot). En mai 1944, dans les bois du Mont Mouchet, 260 résistants trouvent la mort, pourchassés par les troupes de l’occupant nazi. (Un camarade, mon aîné, y fût tué. Il avait 17 ans.) Les villages et les hameaux aujourd’hui sont propres. Les maisons belles. Les chaussées soigneusement entretenues. On n’entend pas les enfants des écoles. On ne rencontre personne. "Ô saisons, ô châteaux" !

             Ces pierres, ces vides, ces ombres, ces noms, nous les avons effleurés comme ne les voyant pas. Notre regard portait ailleurs, aspiré par le ciel, l’horizon, la beauté.  C’est seulement le lendemain de notre retour que le fait survint. Qu’un rêve me réveilla en sursaut au cœur de la nuit. Dans notre éblouissement, qu’avions-nous vu de la Margeride ? L’autorité d’un surmoi, dans mon rêve, me faisait la leçon. Comment pouvions-nous nous montrer si légers ? Ne pas percevoir, sous la peau du monde (où que nous nous trouvions) le tragique du réel ? Comment être heureux et inconsolable ? La question du voyage. La leçon des ténèbres. 

FIN

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