Religion
Noé
Avec le film d’Aronofsky, qui sort sur les écrans, le personnage de Noé pendant quelques temps va visiter notre monde (ou passera peut-être inaperçu). Cette fable du Déluge, empruntée à Babylone, l’écrivain hébreu l’adopte et l’insère dans le chapitre 6 de la Genèse. Le Dieu du peuple juif ne se contente pas de créer le ciel et la terre. Son chef d’œuvre, il l’accomplit en insufflant la vie dans les poumons de l’être humain. Seulement voilà : l’homme prolifère, se conduit mal, et Dieu se repent de l’avoir fait. Le Très Haut efface tout. Tout se qui vit sur la surface de la terre. Priant seulement Noé de mettre de côté quelques échantillons choisis parmi les êtres vivants. Les humains peut-être auraient dû se méfier. Des mesures de rétorsion avaient déjà été prises à leur encontre. Notamment un décret d’expulsion manu militari hors des frontières du paradis terrestre. Celle-ci accompagnée, “Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front”, d’une condamnation aux travaux forcés. Cette fois tout de même, en exerçant un génocide, le premier connu de l’histoire de l’humanité, le bon Dieu se révèle avoir la main lourde. Cette pratique sociale ne peut être une solution. Un bon exemple donné à l’humanité.
A – COMPRENDRE
Aussi sommes-nous en droit de nous demander quelle mouche a piqué l’Eternel pour qu’Il en vienne à cette extrémité. En droit de rechercher, pour comprendre, la nature de ce qui a suscité chez Lui cet acte de dépit meurtrier. L’acte d’un enfant colérique à qui l’on vient de briser son jouet. La raison de la colère divine, si l’on en croit le texte biblique, est simple. L’être que Dieu avait créé était méchant. “L’Eternel, lit-on au chapitre 6, verset 6, vit que la méchanceté des hommes était grande”. “Toutes leurs pensées se portaient sur ce qui est mal”. L’indication est certes un peu générale. Elle se précise heureusement au verset 13. En cet endroit du texte les humains sont accusés d’avoir “rempli la terre de violence”. On sait, en effet, depuis Caïn, que des meurtres ont été perpétrés sur la terre. C’est en d’autres versets que la chose devient plus intéressante. Notamment quand le texte évoque des affaires de femmes. “Les filles des hommes, peut-on lire, étaient belles”. L’énoncé, où paraissent des géants, des êtres fabuleux d’une autre tradition, reste vague et pudique. Incline toutefois à imaginer que l’homme, ce vilain bougre, était un chaud lapin. (L’Eternel se serait-il montré jaloux d’un amour dont il n’était pas l’unique objet ?) Quoiqu’il soit, c’est alors que le dieu prend sa décision. Décide de passer à l'acte : “Je vais exterminer de la surface de la terre l’homme que j’ai créé. Je me repens de l’avoir fait” (Chapitre 6, verset 6).
B – DIEU SE REPENT D’AVOIR FAIT L’HOMME
Mesurons-nous la portée de ce qui s’énonce en ces quelques mots ? Imaginons-nous l’enfant à qui son parent déclare, sa parole fût-elle vraie : “je regrette de t’avoir mis au monde.” ? Or nous lisons bien : le dieu biblique se repent formellement d’avoir fait l’homme. De l’avoir fait comme il l’a fait. A savoir méchant. (Et peut-être à son image, puisque Dieu, commettant le Déluge, se révèle lui-même méchant, à savoir meurtrier). Ce repentir de Dieu, cependant, n’est encore qu’un regret. Un regret amer ponctué d’une rage. Ce que j’ai fait est mauvais. Ne vaut rien. Je le déchire, le punis et le noie. Le dieu s’exécute. Cela lui prend quarante jours. Quarante jours pendant lesquels les dispositions de son cœur se modifient. Lorsque le Déluge achève sa décrue, quand Noé sauvé des eaux se retrouve à pied sec, l’Eternel tient un tout autre langage. Non plus seulement le langage du regret, mais celui moral du repentir. Apparaît, en effet, le remords d’avoir puni. D’avoir puni l’homme. Cela vraiment n’était pas bien, jamais plus ça ! “Jamais plus, commence en effet le verset 21 au chapitre 8, jamais plus je ne maudirais la terre à cause de l’homme.” En termes de conduite, cela s’appelle une bonne résolution. Le texte cependant va plus loin et nous livre une indication surprenante. Dieu donc, la chose est entendue, ne maudira plus la terre du fait de l’homme. Mais sur quel argument renonce-t-il à ce geste ? C’est à cette question que répond la suite du verset : “Je ne maudirai plus la terre du fait de l’homme, nous est-il dit, en tant que les desseins de son cœur sont mauvais…” Ce n’est pas en effet parce que l’homme est méchant que l’on se trouve fondé à l’exterminer. L’enfant colérique qui cassait son jouet manifestement a mûri. A grandi sur le plan de la moralité. On ne peut qu’applaudir. Ce fameux verset 21, cependant, n’a pas encore dit son dernier mot. N’a pas encore livré la vérité restée inaperçue pendant des siècles en Occident. Laquelle, si l’on récapitule la phrase que nous examinons, s’exprime ainsi : “Je ne maudirais plus la terre du fait que les desseins de l’homme sont mauvais depuis son enfance”. Ne cillez pas. Vous avez bien lu. Le cœur de l’homme est mauvais : depuis son enfance”. Mauvais déjà avant qu’il n’ait atteint l’âge d’homme. Celui de la responsabilité. Si donc en cette affaire il est un responsable, ce ne peut être ce bougre d’homme. Et, de fait, un déplacement du lieu de la responsabilité s’est opéré dans la conscience du dieu. La responsabilité s’est transférée du lieu de la créature à celui de son créateur. Si le cœur de l’homme est mauvais par nature, c’est bien que son créateur, qu’Il le veuille ou non, l’a fait tel. L’homme, par conséquent, n’était pas à punir. Et Dieu effectivement se repent. Se repent à présent d’un vrai repentir. D’un repentir moral, assorti d’une ferme résolution : “Plus jamais dit l'Eternel dans son coeur, je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait” (toujours au chapitre 8 verset 21). Avez-vous noté "en son coeur" ? L'intériorité de la détermination ? Ce à quoi nous assistons, si nous avons le cran de le regarder, est proprement fabuleux. Nous assistons à la Contrition d’un dieu.
C – DIEU NOUS DEMANDE PARDON
Le récit du Déluge n’est pas là pour nous dire que l’homme est méchant. Et qu’il mérite d’être châtié. Mais que Dieu, faisant l’homme, a raté son chef d’œuvre. Qu’Il en a le cœur gros. Et qu’auprès des hommes, quand le jour sera venu, il devra se faire pardonner. Ce qu’en effet fera Jésus, le Fils de Dieu, en se faisant l’un d’entre nous, et en s’offrant en sacrifice. En sacrifice à qui ? Enfin, pour la première fois de votre vie, serez-vous en mesure de répondre.
Telle est –laissant de côté l’examen du personnage de Noé, la lecture que je fais pour ma part du récit fabuleux du Déluge. Sans oublier qu’une fable, fût-elle cohérente, n’est jamais qu’une fable.
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