Société
Richard Millet
“Fatigue du sens”
Essai
(Pierre Guillaume De roux, 2011)
Cet ouvrage, “Fatigue du sens”, est sorti des presses ces jours-ci. Il vient à point pour infirmer la thèse que développe l’article qui précède, intitulé “Ni sots, ni fous”… C’est l’échelle trop étroite avec laquelle les gens du FN regardent le monde, y soutenais-je, qui rend incompatible leur pensée et la nôtre. Ce ne sont pas de mauvais bougres, concluais-je. Mais ils raisonnent, avec bon sens, comme si l’astre solaire tournait encore autour de la Gaule.
Richard Millet, certes, éprouve des sentiments qu’exprime très haut le Front National. En ce qui le concerne, pourtant, il voit large et grand. Se montre attentif, notamment, aux lignes de force qui déterminent l’orientation politique de la Planète entière. Ainsi décèle-t-il cette vérité du diable : la collusion du Marché et du Droit (Le Marché étant le maître du Droit). Comment formuler en mots simples la finalité dynamique du Marché ? Elle est de créer dans le monde entier, peut-on dire, le plus grand nombre de consommateurs possibles à qui vendre (pour faire du profit) le plus grand nombre possible de produits ou d’objets.
Telle une vague immense, les intérêts du Marché recouvrent la Terre, détruisant au passage tout ce qui constitue un obstacle ou un frein à son expansion : les frontières, la diversité des langues, la particularité des pays, des coutumes, des paysages, jusqu’aux singularités personnelles. S’atténuent ainsi les différences entre les gens, les pays, les cultures. Les sociétés se voient atomisées, réduites à une myriade d’individus autonomes, consommateurs indifférenciés. En l’espace de quelques années les peuples de la planète entière se mettent à marcher dans les villes un téléphone cellulaire à l’oreille, celui-ci devenu par miracle indispensable à la vie.
La liberté du Marché exige avant tout la libre circulation des marchandises et des personnes. Celles-ci se constituent désormais en migrants potentiels. Fini le règne du terrien ayant durant des siècles bâti en pierres dans un pays où il a pris racine. Du coup, et par le truchement de l’éthique et du Droit, les valeurs positives se déplacent. Passent du nom de sédentaire à celui de nomade. De celui d’autochtone (mot banni), à celui d’étranger. Se dire Français de souche trahit un archaïsme incongru, du dernier mauvais goût. C’est une “imbécillité”, chante Brassens, de se croire “né quelque part”.
Raison pour laquelle Richard Millet a mal à la France. Pour laquelle son livre “ne fait que dire une douleur”. Celle “de voir que tout ce qui m’a fait ce que je suis, écrit-il, est aujourd’hui la chose la plus méprisée”. “Tout tend à me nier dans le pays où je suis né”. Passant par un quartier de Paris, à peine se sent-il “toléré” par la population qui l’observe. L’Autre, l’indigène, désormais, c’est lui. Le discours se fait dès lors désenchanté, politiquement incorrect, quelquefois délirant. “Les immigrés de France, surtout les Maghrébins, refusent presque tous la naturalisation véritable”. “Cette population est visiblement soucieuse de ne pas s’intégrer”. “Qu’ai-je de commun avec eux ?”. ”L’Islam est-il compatible avec l’Europe ?”. Ne devons-nous pas nous montrer soucieux devant “la guerre civile silencieuse qui règne en France et en Europe –perdue d’avance par les autochtones ?”. Sans compter que “L’étranger n’est responsable de rien, et toi (l’européen), coupable de tout, murmure la bouche d’ombre du Bien”. Dans ce contexte, un seul réflexe possible : “L’apartheid volontaire. Un exil intérieur, une solitude absolue”.
Je ne puis ici en dire plus long sur cet ouvrage dont le contenu est un cri. Richard Millet, le mal aimé, est l’un des plus grands écrivains de ce temps. Dans cet essai composé de fragments, (de courtes méditations successives), il se veut “l’être le plus sincère du monde”, et il l’est. A ce titre, et en ce qu’il suscite une prise de conscience salutaire, il mérite d’être entendu. De lui, homme blessé, je ne dirai donc pas qu’il est sot, ni qu’il parait mauvais bougre. Je dirai, fraternellement, qu’il est un grand fou. Pour qui, sous l’égide du Libre Marché , une guerre de civilisation a commencé.
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